mardi 31 janvier 2012

Attention et mémoire.

"En priant, veille fortement sur la mémoire, de façon que, au lieu de te suggérer ses souvenirs, elle te porte à la conscience de ton exercice, car l'intelligence a une terrible tendance à se laisser saccager par la mémoire au temps de la prière."

                                                                                       Évagre Moine,
                                                                              Chapitres sur la prière n°45,
                                                                                   in "La Philocalie",
                                                                      traduction de Jacques Touraille


J'ai rarement lu quelque chose d'aussi profond et qui me parle autant. Je me souviens, lorsque j'étudiais le bouddhisme Theravada, je fus extrêmement dépité dans mon ignorance lorsque je découvris que le mot pâli "Sati", signifiant "attention", et pierre angulaire de cette spiritualité, avait pour sens premier "mémoire". Je ne comprenais pas pourquoi le génie de cette langue avait choisi de faire dériver le sens de ce mot, désignant d'abord quelque chose qui évoque la réminiscence du passé, la mémoire, pour finalement lui faire désigner une réalité psychologique qui a pour objet le présent. C'était mésestimer la sagesse intrinsèque à cette langue. Brusquement cette phrase d'Évagre a jeté pour moi une lumière inattendue sur le lien étroit entre la mémoire et la faculté d'attention. "Que la mémoire te porte à la conscience de ton exercice...", et si, finalement, l'attention c'était la mémoire de l'instant présent.
J'ai longtemps réfléchi, du fait de ma profession d'infirmier, sur les troubles de la mémoires qui affectent la personne plus ou moins âgée et qui touchent en premier lieu la mémoire des faits récents et gardent quasiment intact le souvenirs des évènements anciens. Les professionnels parlent souvent de la "labilité de l'attention" pour caractériser l'un des symptômes présent dans ce qu'on appelle "Maladie d'Alzheimer" et toute les pathologies apparentées... Pourquoi dans le cas de ces personnes, la mémoire n'est-elle plus capable de "porter à la conscience" de l'instant présent ? Est-ce seulement dû à des lésions cérébrales ? Ou bien y-a-t-il un point de rupture lorsque le mental ne peut plus se projeter dans l'avenir, faculté qui provoque encore un certain équilibre, la conscience se retrouvant alors submergée par les souvenirs et les traumatismes ?...
Et si finalement l'équilibre ne tenait pas dans un balancement entre les souvenirs et la projection dans un avenir rêvé mais inconnu et fatalement de plus en plus restreint en possibilités, mais entre la mémoire de la mort et la mémoire de Dieu ?
Quoi qu'il en soit je suis de plus en plus convaincu qu'il faut chercher le Seigneur sans relâche par la prière, la "noéra proseuchè", dans l'attention, la "noéra prosochè", tel que l'ont pratiqué et enseigné les pères.



lundi 23 janvier 2012

"L'arme suprême c'est la constance dans la prière et la [douloureuse tendresse], afin de ne pas tomber de la joie de la prière dans la présomption, mais, prenant sur soi la peine qui réjouit le coeur, de demeurer sauf. La prière infaillible est la chaleur qui accompagne la prière de Jésus venu jetter un feu sur la terre de nos coeurs. Elle brûle les passions comme des épines et donne à l'âme la réjouissance de la joie. Elle ne vient ni de la droite, ni de la gauche, ni d'en-haut, mais jaillit dans le coeur comme une source d'eau coulant de l'Esprit qui donne la vie. Ne désire trouver et posséder qu'elle seule en ton coeur, gardant ton intelligence toujours vide d'images, dépouillée de réflexions et de pensées, et ne crains pas. Car Celui qui a dit : "Courage, [je suis], ne craignez rien." est avec nous. (C'est à lui que nous demandons de toujours nous protéger.) Et quand nous invoquons Dieu, nous ne devons ni craindre, ni gémir. Si certains se sont égarés et ont perdu l'esprit, considère qu'ils en sont arrivés là par leur indépendance et leur orgueil. Car celui qui recherche Dieu dans la soumission et l'humilité, en interrogeant, ne se fera jamais de mal, par la grâce du Christ qui veut sauver tous les hommes."

Grégoire le Sinaïte : Comment l'hésychaste doit être assis, in La Philocalie tome 2, page 431 (Traduction de Jacques Touraille, sauf mots en italiques gras entre crochets :  [...])

vendredi 13 janvier 2012

Violence.

J'avais rencontré un moine qui m'avait dit ceci et que j'ai retranscrit : "C'est dans le combat contre les pensées passionnées que j'ai compris cette parole du Seigneur : "Le Royaume des cieux est pris par violence et ce sont les violents qui s'en emparent." (Matthieu XI, 12). Pour trancher une pensée à la racine avant que celle-ci n’envahisse le champ de la conscience, il faut beaucoup d'énergie, focalisée dans l'attention, se déployant avec la vivacité du chat attrapant une proie, et la fermeté du tranchant de la houx que le jardinier abat contre la terre. Mais il ne faut pas oublier que si les violents s’emparent du Royaume, il appartient aux pauvres par l'esprit. Le pauvre c'est ce πτωχος c'est-à-dire le démuni de tout appui, le mendiant, et, dans le sens premier : celui qui se blottit pour échapper à la frayeur du combat..."

Silence.

Toute pensée retranchée, en prenant refuge dans le Nom de Jésus, ne subsiste plus que le "Κύριε Ἰησοῦ Χριστέ, ἐλέησόν με". Il n'y a plus rien à écrire ni à dire. Les pensées divaguent et vagabondent, toi, demeure dans l'invocation et toujours ramène ton attention en cette sainte demeure, celle de la pauvreté, du silence et de l'abandon. Et parfois aussi celle la dure solitude, certes oui, mais n’oublie pas : ta solitude fondamentale est habitée...